jeudi 22 mars 2012

Sarajevo mon amour

C'est étrange comme prénom. Etrange mais beau.

Je crois que j'ai instantanément été intrigué par cette fille. Elle était paumée, ses yeux inondés d'une tristesse irrévocable. Sa peau d'une blancheur immaculée contrastait violemment avec la noirceur naturelle de ses cheveux qu'elle portait jusqu'à la nuque avec une frange qui accentuait son regard tout aussi noir. Elle fuyait la confrontation visuelle comme pour nous épargner sa peine. Je crois que c'était aussi une façon de fuir un éventuel échange verbal , une manière physique de dire "Je n'ai pas envie de vous parler, laisser moi seule me consumer de ce mal être".

Cela ne m'a pas découragé et je l'ai quand même invité, pas directement mais de quelques mots griffonnés sur une serviette en papier "Viens avec moi en haut de la colline, on va toucher les nuages." J'ai eu peur que jamais elle ne me rejoigne mais elle est venue et ce fut poétiquement convulsif. Nous nous sommes régulièrement revus et je crois qu'elle tombait amoureuse de moi. Pour autant la mélancolie de son regard n'avait pas disparu. Cela ne me dérangeait pas, bien au contraire. Je n'avais jamais eu la prétention de la rendre heureuse et je concède que son désespoir permanent m'aidait à assumer mes angoisses et cette lourdeur qui émane de moi. J'ai toujours été dans l'incapacité d'affronter le quotidien un sourire aux lèvres et la présence de Sarajevo, si elle ne m'aidait pas à trouver une certaine quiétude , m'apportait une liberté mentale dans ce mal être. Sa tristesse permettait à la mienne d'exister librement,

et réciproquement.

Un jour, alors que j'étais certain des sentiments de Sarajevo, j'ai essayé de me persuader de mon amour pour elle. Chaque soir, fumant une cigarette et regardant les étoiles je me répétais inlassablement "J'aime Sarajevo. J'aime Sarajevo. J'aime Sarajevo." Mais si mon cerveau fut convaincu, mon coeur, lui, ne cessait de battre une ancienne idylle pourpre comme l'enfer.

Je devais l'honnêteté à Sarajevo et lui avoua "Je ne t'aimerai jamais que du cerveau". Elle esquissa un léger sourire et d'une voix douce mais quasiment inaudible, me répondit "Je t'aime". Et pour la première fois depuis notre rencontre je vis jaillir de ses yeux noirs une larme couleur sang qui dévala le long de sa joue avant de s'écraser sur le sol dans un bruit sourd .

Sarajevo rentra chez elle, seule, et j'eus alors l'abominable sensation d'avoir fait verser la goutte de tristesse de trop, celle qui fera déborder son coeur.

Le soir même j'ai voulu m'excuser, la prendre dans mes bras et lui susurrer des poèmes d'Aragon à l'oreille.

Je n'en ai pas eu le temps.

A peine rentrée dans son appartement,

Sarajevo s'est suicidée.

Je ne l'ai jamais embrassé.

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